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« Il faudrait
dire de Lurçat que c'est un peintre qui atteint l'esprit
avec une fronde... Ce n'est pas avec une fronde... C'est
avec des phares faisant se démolir les couleurs et se
déflagrer les arbres et les hommes, que ce peintre bien
né atteint l'esprit. » Charles - Albert CINGRIA, (Lurçat ou la peinture avec des phares). |
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La table surprise vers 1924 | ||
« Lurçat est, au départ, un peintre de grèves et de déserts. Il projette sur les cailloux et les sables, des aérolithes menaçants, des bombes qui font voler le monde en éclats. » Pierre SEGHERS, (Les Lettres Françaises). |
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Le sardinier 1935 |
« - Pourquoi peignez,vous ?
« - Pour tenter de devenir un homme, Monsieur. »
C'est la réponse de Jean Lurçat à une interview de la télévision.
C'est la réponse de sa vie entière à son époque saisie en son tout.
Cette histoire proche commence mal : Jean Lurçat a 22 ans lorsqu'éclate la première guerre mondiale. Il restera toute sa vie « sur le front ». Pas seulement des tranchées de l'Argonne aux maquis du Lot en passant par la guerre d'Espagne. Mais sur tous les fronts où se joue le destin des hommes, et toujours du côté de ceux qui aiment l'avenir.
Sans optimisme béat : il y a le chaos, oui. Mais il existe des forces capables de le surmonter. Dans l'art comme dans la vie. Dans la poésie comme dans le combat.
Dans ses tableaux de jeunesse, ceux de l'avant - guerre, du pendant - guerre et de l'après - guerre, ceux aussi de la crise de 1929, des craquements qui la précèdent, des écroulements qui la suivent, ce qui domine, c'est ce que Lurçat lui - même appelait « mon côté sinistre et Golgotha ».
Dans un temps de guerre et de crise, d'incendies, de tortures, de prison, de faillite, de mort, peindre des ruines ou peindre des monstres est un phénomène d'époque.
Pas des ruines romantiques, des décors pour la rêverie, à la Hubert Robert, ni des monstres aimables sortis des Métamorphoses d' Ovide. Mais les grands déserts calcinés avec leurs ossements de pierre et leurs squelettes d'arbres. Des bâtiments qui ne seraient habités par personne comme ceux des cauchemars de Chirico, ou des paysages lunaires. Comme si, dans ces toiles, s'annonçaient déjà les épouvantes de Guernica et d'Oradour.
« Les hommes de notre génération ont vécu deux guerres, écrit Jean Lurçat. Et c'est dire que beaucoup de nos souvenirs sont un tissu d'hallucinations ».
Roger GARAUDY
Les rapports de Lurçat peintre et de Lurçat tapissier n'ont pas toujours été faciles.
Cela ressemble à ces histoires de famille faites d'amour et de déchirements.
D'ailleurs Lurçat ne s'y trompait pas. Il savait que sans elle - la peinture -, il n'aurait pas été " Lurçat le magnifique ", le créateur de l'Apocalypse des Temps Modernes.
En 1928, celui dont les oeuvres picturales " se vendaient facilement " eu soudain de très grands doutes sur l'authenticité de sa peinture et notamment sur sa nécessité.
De retour d'un long voyage et après un an d'absence, il découvre effrayé que tous : les Miro, Ernst, Picasso, etc.. ne peignent que des monstres et que, comme lui dans l'Apocalypse, ils font ça très bien. Ce qui lui fait dire : "ma peinture ? j'ai un couteau aigu et pointu que j'enfonce dans le corps de celui qui regarde et que je tourne jusqu'à ce que ça fasse mal ! ".
Lurçat n'abandonna jamais cet exercice fondamental qui lui etait absolument nécessaire pour exprimer dans cet art dit appliqué qu'est la Tapisserie, le meilleur de lui-même. Mais ces rapports avec les peintres, ou plutôt avec la peinture, le conduiront à des attitudes dignes de ceux qui, à la Renaissance, s'érigeaient dans des manifestes du genre " défense et illustration de la langue française ".
Pour Lurçat, c'est bien évidemment de la Tapisserie qu'il s'agit. Elle est, comme la peinture, un art de création fondamental et non une reproduction d'un élément préalablement peint. C'est un support différent pour une démarche créatrice identique. L'homme Lurçat se complaira avec l'humour qui le caractérise à présenter son Art non seulement comme majeur mais supérieur aux autres.
Deux anecdotes savoureuses illustrent l'engagement du peintre cartonnier.
La première se situe aux Tours de Saint-Laurent où Lurçat répond aux questions de Claude Faux pour " Lurçat à haute voix ".
L'interview est enregistré sur un magnétophone qui faisait montre de certaines défaillances dues à des vibrations qui produisaient, quand on repassait la bande, des ronflements d'avion en fond sonore.
Afin de palier ces effets particulièrement désagréables, on alla quérir des annuaires téléphoniques, des journaux, des couvertures et autres éléments moelleux. Rien n'y fit. Lurçat propose alors des tapisseries qu'il plia en 4 et qu'il déposa sous le magnétophone. On refit un essai... Lurçat prononça ces mots " je crève de soif et je propose qu'on descende au Casino boire une bière bien fraîche ". Le résultat fut parfait et le maître put exprimer sa satisfaction en disant : "la tapisserie, il n'y a que ça de vrai ".
L'autre anecdote, tout aussi savoureuse, concerne une conversation avec René Huygue.
Ecoutons Lurçat :
... une fois j'étais avec René Huygue. On discutait. Il s'est mis à défendre la peinture de chevalet. Moi, pour le plaisir, j'ai pris le contrepied. Et puis, soudain, j'ai une idée : je prends une tapisserie de 4 ou 5 mètres carrés, je l'étends par terre, je marche dessus, je la piétine, j'essuie mes semelles avec et je dis à Huygues " Prenez donc votre Joconde et essayez d'en faire autant avec !... Est-ce que vous entrevoyez, maintenant la supériorité de la tapisserie ?...".